A la recherche de gays noirs à Bruxelles? J’ai rencontré Koéssan Gabiam et j’ai eu la chance de faire connaissance d’un géographe qui sait parfaitement oû les trouver.
Bruxelles a vu naître depuis la fin des années 2000, un phénomène de visibilité des homosexuels ou bisexuels noirs au cœur de son quartier gay. Sont considérés dans la présente étude, les homosexuels ou bisexuels noirs quelle que soit leur origine. Cette nouvelle visibilité, bien qu’elle varie tout au long de l’année, semble s’installer dans le paysage de la scène gay bruxelloise, en prenant surtout en compte les lieux de sorties gays et les Belgian prides qui sont les marches des fiertés LGBT (sigle désignant les lesbiennes, les gays, les bisexuel.le.s et les transsexuel.le.s). Cette visibilité croissante interroge d’emblée le chercheur: s’agit-il d’une face visible de la présence gay noire à Bruxelles? Comment cette visibilité permet-elle aux gays noirs de s’intégrer à la réalité bruxelloise ? Enfin, ces dernières questions soulèvent la problématique des divers acteurs concernés et l’auteur privilégiera les espaces récréatifs et résidentiels comme lieux d’enquête de ce travail exploratoire.
On cherche
Le fait d’étudier les minorités sexuelles en géographie urbaine constitue une posture épistémologique relativement récente en Europe continentale et la démarche devient inédite quand elle concerne une minorité dans une autre minorité (ici les gays noirs). Ce fait épistémologique rend la tâche du chercheur particulièrement ardue tant les méthodes et les sources confirmées font défaut. Il reste à les inventer et à les proposer avec le plus de rigueur et d’honnêteté scientifique possible.
La méthode proposée par le présent article consiste en une combinaison d’une étude qualitative et d’une étude quantitative. L’étude qualitative est fondée sur un questionnaire de 20 points adressé à 27 personnes qui s’identifient comme gays noirs. L’étude quantitative, quant à elle, se focalise sur des données résidentielles fournies par un site de rencontres sur Internet. L’article commencera par détailler davantage les deux sources principales de l’étude avant de discuter de la visibilité des gays noirs à Bruxelles et de leurs pratiques urbaines.
GayRomeo
Etant donné le rôle crucial que jouent les sites de rencontres pour les minorités sexuelles en termes de ‘démarginalisation’ et d’ ‘empowerment’ (Heise, 2012) ou encore d’espace refuge (Brown, Maycock & Burns, 2005), le cyberespace s’est imposé comme une des sources de cette étude. Ainsi en septembre 2010, un comptage des chatteurs noirs gays de la Région bruxelloise sur un site de rencontres (GayRomeo) fut réalisé. Ce site, à l’instar d’autres, permet une recherche détaillée de profils de chatteurs connectés ou non mais inscrits, en croisant des données comme l’âge, la localisation ou encore le type humain (caucasien, africain, métis, arabe, asiatique, etc.). Il a dès lors été entrepris d’utiliser, comme indicateur, le nombre de profils gays ou bisexuels noirs africains, en Région bruxelloise, en septembre 2010, à l’aide du moteur de recherche du site.
En Belgique, le nombre total de chatteurs noirs africains s’élève à 337 dont 248 (74%) déclarent la Région bruxelloise comme lieu de connexion et donc de résidence. Seuls 14% des profils sont localisés en Flandre, région pourtant 6 fois plus peuplée que la Région bruxelloise. Naturellement, la destination de l’immigration subsaharienne en Belgique et notamment celle de l’immigration congolaise, de même que la barrière linguistique du néerlandais en Flandre pour des Subsahariens francophones et éventuellement anglophones devraient expliquer cette prédominance bruxelloise qui justifie en partie que la présente étude cible la capitale belge.
Les données du cyberespace constituent une bonne base de cette étude exploratoire car le volume de profils est en effet non négligeable. Mais ce travail doit être poursuivi par une enquête qualitative qui permet au chercheur d’accéder aux données liées à la pratique urbaine des gays noirs (lieux de sorties et carte mentale de l’espace urbain en particulier).
Bruxelles, Ixelles et Sint-Gilles
Une des contraintes de cette enquête exploratoire est la collecte des données du fait qu’une partie du public-cible de l’enquête vit son homosexualité ou bisexualité dans le placard. Malgré ce frein notable, il a été possible de recruter 27 gays noirs bruxellois en 2011 qui ont bien voulu répondre au questionnaire de l’étude. Le questionnaire aborde les questions de l’identité, de la localisation résidentielle, de la carte mentale et de la discrimination du fait de leur origine ethnique et de leur orientation sexuelle (intersectionnalité). De plus, des interviews ont été conduites auprès de deux volontaires de cet échantillon et d’un activiste gay. A travers cette étude qualitative précédée par une étude quantitative, l’auteur entend dresser une cartographie complexe des espaces de visibilité et de pratiques urbaines des gays noirs à Bruxelles ci-après.
Les données récoltées par le questionnaire et par GayRomeo concernant les lieux de résidence ont été représentées en les comptabilisant par groupe de communes. On distingue l’Ouest de Bruxelles (Jette, Ganshoren, Koekelberg, Berchem Sainte-Agathe, Molenbeek Saint-Jean et Anderlecht), Bruxelles-ville, les communes de première couronne orientale (Evere, Schaerbeek, Etterbeek, Ixelles, Saint-Gilles et Forest), et les communes de seconde couronne orientale.
Lorsqu’il s’agit d’obtenir des données résidentielles, l’échantillon se réduit encore. En effet, seuls 189 profils sur 248 sont exploitables pour la commune de résidence parce que certains chatteurs déclarent la Région bruxelloise comme lieu de résidence sans préciser la commune concernée. Au niveau de l’enquête qualitative, 3 réponses se sont révélées inexploitables du point de vue résidentiel.
La figure n°1 permet d’observer que Bruxelles-ville et les communes de première couronne orientale sont prisées par les gays noirs comme lieux de résidence. Ce sont donc près de 70% des enquêtés et des chatteurs qui habitent ces communes centrales de la région. Cette observation va dans le sens des études précédentes ciblant les communautés homosexuelles en général qui ont également tendance à opter pour Bruxelles, Ixelles et Saint-Gilles comme lieux de résidence au détriment des communes de seconde couronne orientale (Deligne et al., 2006). De surcroît, ces communes centrales offrent plus de logements accessibles (forte proportion d’appartements à loyers bas ou modérés) que les communes aisées de seconde couronne où les maisons unifamiliales dominent.
Figure n°1 : Les zones résidentielles des gays noirs en Région bruxelloise
En outre, Anderlecht et Jette, communes occidentales se présentent aussi comme des communes résidentielles prisées par les gays noirs. En effet, la proportion de profils noirs parmi tous les profils dans ces deux communes est supérieure à la moyenne régionale comme c’est le cas aussi à Bruxelles-ville (voir figure n°2).
Ces valeurs pourraient s’expliquer par l’immigration subsaharienne à Bruxelles dont ces communes constituent le réceptacle (Schoonvaere, 2010). Molenbeek-Saint-Jean, également une zone réceptacle de cette immigration, détient pourtant une proportion de profils inférieure à la moyenne, de même que Schaerbeek. La proportion de profils gays arabes, par ailleurs, est supérieure à la moyenne à Molenbeek- Saint-Jean alors qu’elle est moyenne à Schaerbeek. Ces observations permettront de formuler une hypothèse d’exclusion résidentielle de ces deux groupes minoritaires à Schaerbeek et à Molenbeek-Saint-Jean. Une donnée surprenante concerne Ixelles, qui héberge Matongé, le quartier africain de Bruxelles. En effet, cette commune n’obtient qu’un pourcentage de profils moyen ; ce qui peut faire émettre l’hypothèse d’une mise à distance et d’une migration vers d’autres communes, c’est-à-dire d’une prise de distance de son milieu familial pour vivre son homosexualité ou bisexualité (Blidon, 2008).
Figure n°2 : Répartition des chatteurs gays noirs en Région bruxelloise
Après avoir analysé la géographie résidentielle des gays noirs, l’article va maintenant s’intéresser à la pratique urbaine et aux espaces de visibilité des gays noirs à Bruxelles en se focalisant sur les lieux de sorties et les espaces associatifs. Ce sont exclusivement les résultats issus du questionnaire qui seront mobilisés dans cette partie de l’étude.
Enquête
L’enquête menée auprès des 27 répondants et des témoins privilégiés met en évidence le fait que les domiciles privés constitueraient les premiers lieux de sociabilité des gays noirs à Bruxelles. Ce sont également des lieux où l’on peut rencontrer des ressortissants de même pays d’origine et partager ses expériences en toute sécurité, à l’occasion par exemple de fêtes organisées entre amis. Dans cette optique de sécurisation des interactions sexuelles et sociales, les sites Internet de rencontres jouent également un rôle clé en connectant des gays noirs de toute origine sociale, vivant ou non dans le placard.
Constatant un nombre élevé de profils gays noirs sur un site comme GayRomeo mais un faible taux de réponse à la présente enquête (sur Internet) et dans les bars (lieux de sortie), on peut aisément en déduire le grand tabou qui entoure encore les expériences et les identités gays noires de nos jours en Belgique. De la sorte, cette étude exploratoire ne peut prétendre à aucune description de ces expériences invisibles mais va plutôt s’attarder sur les aspects spatiaux et visibles de ces sociabilités gays noires. Les indicateurs de cette spatialité visible sont les lieux de sortie et la pratique urbaine des répondants.
Christo Bar, Homo Erectus et Boys Boudoir
Les lieux de sortie les plus cités par les enquêtés sont trois bars situés dans le centre urbain (voir figure n°3). Il s’agit des bars suivants : Christo Bar, Homo Erectus et Boys Boudoir. L’un des propriétaires du Christo Bar est originaire d’Afrique subsaharienne. De ce fait, le bar a de plus en plus la réputation d’être le bar gay noir de la ville et attire des gays noirs de tout le pays surtout le week-end. Le bar Homo Erectus est très connu dans le milieu gay bruxellois depuis des décennies et plusieurs serveurs sont (gays) noirs. Le Boys Boudoir est une boîte gay friendly qui attire plutôt les gays noirs jeunes. Là, outre la musique, le facteur d’attraction pour certains gays noirs est le fait qu’on peut se faire passer pour hétérosexuel plus facilement que dans d’autres facilités commerciales gays.
Matonge
La figure n°3 indique aussi les places fréquentées souvent localisées au centre-ville mais également Matongé, le quartier africain de Bruxelles et le quartier Louise. Les enquêtés soulignent aussi le rôle joué par les discothèques africains du quartier Louise dans la prise de contacts avec d’autres nationalités.
Naturellement, certains Noirs, qui ne peuvent pas vivre leur homosexualité ou bisexualité au grand jour, doivent alors fréquenter des lieux de consommation sexuelle comme les saunas, les men’s clubs ou les boîtes avec darkrooms qui offrent la possibilité de rencontres sexuelles avec des gays noirs installés à Bruxelles ou de passage (touristes).
Figure n°3 : Lieux de sortie et pratique urbain des enquêtés (centre de Bruxelles)
La visibilité des gays noirs dans le milieu associatif demeure limitée. Cette observation générale est à nuancer par la création en 2012 du collectif African Pride, qui s’adresse aux noirs LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, transexuel.le.s, queer et intersex) vivant en Belgique. Précisons aussi que jusque-là, ce sont plutôt les gays noirs nouvellement arrivés en Belgique (réfugiés sexuels) qui ont le plus de visibilité, à travers des associations comme OASIS, WISH ou et à travers la participation de ces mêmes associations à la Belgian Pride. RainbowsUnited
En somme, les discours développés par les témoins privilégiés mettent en exergue une topographie de visibilité variant selon les stratégies d’insertion et d’interaction de différents types d’acteurs résumables en 4 types (voir figure n°4). Sont identifiables : les réfugiés, les touristes, les gays noirs fréquentant la scène gay et les gays ou bisexuels noirs vivant dans le placard. Par ailleurs, le pouvoir d’achat des acteurs entre aussi en compte dans la préférence accordée à un type de lieu donné ; ainsi les fêtes gays ethniques organisées dans les grandes villes comme Londres ou Paris sont rarement accessibles aux réfugiés sexuels ou aux gays noirs qui sont hors milieu.
Figure n°4 : modélisation des réseaux socio-sexuels des gays noirs à Bruxelles
Conclusions
L’observation d’une visibilité croissante des gays noirs dans le quartier gay de Bruxelles a inspiré cette étude exploratoire, qui combine des résultats d’une enquête qualitative à une approche quantitative afin de proposer une cartographie complexe des espaces publics et semi-publics pratiqués par ces minorités sexuelles. Un des apports de l’étude est d’avoir démontré l’interprétabilité des données déclarées par les internautes au niveau des communes bruxelloises. Cela incite à une utilisation des données du cyberspace, en association avec des sources qualitatives, dans le cadre des minorités sexuelles qui utilisent Internet comme moyen de rencontres tout en minimisant les risques d’agressions homophobes, et qui, de surcroît, sont difficiles à contacter par le chercheur. Enfin, l’étude pointe une visibilité des gays noirs à géométrie variable, déterminée par le type d’acteurs concernés. Ainsi, un réfugié sexuel gay noir, loin de toute pression familiale utilisera l’espace public, le jour de la Belgian Pride, comme un site de résistance et un espace de revendication des droits LGBT alors qu’un gay noir né à Bruxelles, peut privilégier des espaces moins visibles comme les saunas, les men’s clubs ou Internet comme lieu d’expériences homosexuelles.
Koéssan Gabiam est géographe. Cet article est basé sur deux présentations précédentes qu’ il a donné à la conférence ‘European Geographies of Sexualities Conference’ in Brussel: ‘Public spaces of black gays sociosexual visibility in Brussels’ et ‘Which residential geographies for black gays in Brussels?‘.
Een gedachte over “Gays noirs à Bruxelles”
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